mercredi 25 juillet 2012

Jazz Magazine par Robert Latxague notre ami journaliste


Junas I : La Nouvelle-Orléans s’invite

Junas, dans son décor fantastique des carrières explosant de couleurs vives la nuit venue, ce pourrait être le jazz vivant… à l’âge de pierre ! Cette année, c’est bien à un retour à l’Histoire qu’invitait la thématique générale du XIXe Jazz à Junas : retour vers La Nouvelle-Orléans. Invitation à redécouvrir les racines de cette musique, mais aussi à en suivre l’évolution. De quoi noter, au passage, quelques cicatrices post-ouragan Katrina, quelque chose qui, entre douleurs et rétablissement, pourrait sonner comme une touche de blues.



Jazz à Junas, Carrières de Junas, 18 et 19 juillet. Raphael Imbert Octet, Magic Slim and the Teardrops, Brian Blade and the Fellowship Band, Ninety Miles

 Sa musique ne se livre pas si aisément. Elle nécessite même de la part de l’auditeur spectateur une écoute attentive, voire une envie, un besoin. Car même sur cette carte imprimée aux couleurs de la tradition Nouvelle Orléans avec banjo en bandoulière et traits de piano ragtime au besoin, les lignes bougent hors de tout confort dans l’octet de Raphael Imbert. Justement L’instrumentation ainsi plutôt diversifiée force à accepter une large palette de couleurs sonores (paradoxalement dans un tel contexte de lignes croisées, les parties chant et/ou guitare de Sarah Quintana peuvent quelquefois apparaître quelque peu en décalage) Mais voilà : lorsque l’on se trouve pris au jeu vient rapidement le plaisir d’une captation (une cooptation ?) à partir d’une musique basée sur des riffs, qui a tout de même fondé, ancré les courants du jazz.

Magic Slim lui ne se pose pas de question. Il joue le blues. Celui qui sonne vrai. A l’écoute de cette tranche de vie black and blue, et malgré la similitude quant aux difficultés physiques à figurer sur une scène et à se déplacer, devant une telle vitalité d’expression l’on ne peut pas ne pas songer dès lors à la catastrophe artistique que représente aujourd’hui, hélas, une prestation scénique de BB King…Au dit Magic la règle d’or des 12 mesures et des trois accords lui appartient en propre. La rythmique de son groupe –seconde guitare, basse et batterie- jeune, solide représente un moyen idéal de propulsion quel que soit le tempo. Le son de sa guitare acide découpe alors des gimmicks évidents tels des matins clairs sur le bayou. Même à l’occasion d’une millième version plutôt funky de Baby please don’t go

Brian Blade, batteur : une incroyable densité de sons et de frappes modulées à bon escient ; une succession de figures rythmiques et autant de constructions mélodiques sur caisses et cymbales, bref une sorte d’orchestre à lui tout seul doué d’une capacité d’invention permanente. Avec cet orchestre il se trouve aussi bien entouré. Bon,Melvin Butler est un peu sage peut-être, un peu cadré dans son jeu de sax. On retient malgré tout un son rond, souple au ténor. Myron Walden plus éclaté question sonorité, à la clarinette basse mais au sax alto surtout figure une sorte de Dolphy d’aujourd’hui, souvent imprévisible dans le discours. Si la mise en relief de l’ensemble tient au profil du leader, le lien revient au piano de Jon Cowherd. Beaucoup de nuances et de brio.

Ninety Miles enfin. Le groupe des trois leaders quadras amoureux de Cuba–sauf que Nicolas Payton remplace cette fois Christian Scott prévu sur cette même scène le lendemain même…- se trouve confronté à une situation paradoxale. La multiplicité des leaders, le nombre des sources sonores différentes dues à la composition de l’orchestre compliquent la tâche des spectateurs. Beaucoup d’items et d’évènements musicaux à localiser en simultané : l’identification s’en trouve altérée, l’écoute plus difficile en rapport au disque récemment sorti. Dommage car les compositions exposées sur scène s’avèrent riches, travaillées. Stefon Harris offre son savoir faire au vibraphone, instrument plutôt rare désormais, plus un visuel pour bien faire savoir. « J’aime de plus en plus utiliser aussi le marimba. Le bois représente une matière noble, naturelle, pour moi une trace de l’Afrique creusée à même le jazz… » David Sanchez au sax ténor, c’est une force, une amplitude donnée aux développements des lignes harmoniques, de la mélodie. Nicolas Payton enfin, figure plus fermée, moins explosive, comme un peu en retrait…Sur un air de marching band pourtant, roulement de tambour militaire et tempo binaire appuyé le final néo orléanais s’est conclut public debout et battement de mains assurés. Junas, cœur de chauffe dans un décor de pierre peut au besoin s’affranchir du paradoxe. Robert Latxague

Raphael Imbert (ts, ss), Jean Luc Di Fraya (b), Simon Sieger (tb, p), Thomas Weirich (g), Pierre Fénichel (b),Benjamin Lévy (g), Paul Elwood (bjo, voc), Sarah Quintana (g, voc).
 Magic Slim (voc, g), John Mc Donald (g, voc), Andre Howard (b, voc), Brian Jones (dm, voc).
Brian Blade (dm), Melvin Butler (ts), Myron Walden (as, bcl) Chris Thomas (b), Jon Cowerd (p).
Stefon Harris (vib, marimba), David Sanchez (ts), Nicolas Payton (tp) Ed Simon (p), Richie Rodrigues (b), Terreon Guli (dm), Mauricio Herrera (perc)





Junas II : Christian Scott & Bernard Lubat

Jeudi : la séquence solo de tambour bata du percussionniste cubain de Ninety Miles, Mauricio Herrera, prolongé du chant des guerriers d’Ogun scandé en langue Yoruba, avait déjà provoqué quelques éclairs… pour les initiés. Vendredi : la chaleur fait rage jusqu’au cœur de la nuit. Les cigales s’en donnent à cœur joie dans la carrière et la pinède alentour. Elles deviennent le son majeur du festival. Samedi : patatras ! La tramontane s’est invitée pour la clôture du festival. Les cigales se sont tues sans crier gare. La fraîcheur est tombée sur le décor de pierres. Il reste au jazz de La Nouvelle-Orléans à réchauffer les festivaliers…


Festival Jazz à Junas, Carrières de Junas, 20 et 21 juillet. Christian Scott Quintet, Bernard Lubat Nonet, Patrick Artero Quintet, Craig Adams and the Voices of New Orleans.

Christian Scott ne se le fait pas dire deux fois. Son jazz pète le feu, zébré de traits électriques prononcés. Les figures rythmiques resserrées, très de la contrebasse et de la batterie (le batteur Jamire Williams, comme son collègue de la veille, Brian Blade, utilisent tous deux une caisse claire fabriquée spécialement par un jeune luthier de Montpellier inventif, Guillaume Carballido, à partir d’un bois d’érable) créent une trame dense, pétrie de relances et de breaks. Sur une telle piste de décollage les séquences de guitare (saturée juste comme il faut), comme la trompette du jeune leader, ne manquent ni d’envolées ni de notes épicées. On passe par du jazz servi chaud, près du rock, pris dans les filets de la soul, aux limites de la fusion. Dans Jazzmag, Christian Scott parle de stretch jazz. Un savant mélange des genres, avec le groove comme dénominateur (détonateur ?) commun.

Bernard Lubat reste un provocateur. Là où d’autres, avec son palmarès, ronronneraient, lui brasse et touille sans vergogne. Il démarre, seul sur scène, par un petit discours d’introduction “poïétique” (pour la contraction de poétique et politique). Il enchaîne sur une courte séance de notes arpégées au piano, avant de basculer d’un coup d’un seul dans une furia free au fur et à mesure de l’entrée des musiciens de la Compagnie. Le public de Junas, pas forcément habitué, se retrouve vite KO assis. L’orchestre des anciens (Lubat et ses deux invités, les locaux de l’étape et collègue de promo jazz Gérard Pansanel et Denis Fournier, un tantinet surpris par ce départ sur les chapeaux de roue !) et des modernes (dont son propre fils derrière la batterie) passe d’une avalanche free à des arrangements subtils de standards (Goodbye Pork Pie Hat, Stella by Starlight…), pour terminer sur une biguine dite « gascon-cubine », exercice de style inattendu sur lequel les deux montpelliérains conviés, le batteur comme le guitariste, impriment savoir faire et finesse. Bernard Lubat rayonne à la tête de son gang de jeunes qu’il a façonné à sa main : « La réalité c’est que le temps passe vite: Edouard Glissant et André Benedetto ont marqué Uzeste. Mais ils ont à ce jour disparu. Maurice Vander ne peut plus jouer du piano… Heureusement ces jeunes me piquent comme un aiguillon. » Alors le gourou uzestois raille à nouveau « la droite et la gauche » et termine le concert debout, en chef d’orchestre scatteur de langue d’oc. Public renversé cul par-dessus tête, effet show garanti.
L’histoire de la nuit racontée par Patrick Artero évoque le vaudou au pays des bayous. Il y est question de serpent, d’alligators mais aussi de divinités, de prêtresses et de boogaloo. Le jazz concocté par le trompettiste avec ses deux mentors louisianais Don Vappie« une sorte de Dr. John guitariste et enseignant à l’université de New Orleans » et Mark Brooks, bassiste, compositeur et figure référence de la musique orléanaise sonne swing haut et fort. Et porte le blues en écho permanent. Le séjour d’Artero au pays des marais et du delta ancre sa musique dans ce qu’il nomme lui-même une humide« swamp atmosphere ». Les arrangements soignent la mélodie, la complicité basse-batterie-piano fait le pont entre tradition et modernité. Un mélange de genre et de racines apte à déclencher les danses de Congo Square d’hier jusqu’au funk déhanché d’aujourd’hui.
Pour finir, histoire d’effacer la maudite fraîcheur qui avait fait fuir les cigales, on a laissé Craig Adams et ses Voices of New Orleans entonner When the Saints go marchin’ in comme une rémission…
L’an prochain pour célébrer son XXe anniversaire, Jazz à Junas réinvestira l’Europe. Robert Latxague

Christian Scott (tp), Fabian Almazan (p), Matthew Stevens (g), Kris Funn (b), Jamire Williams (dm).
Bernard Lubat (p, voc), Gérard Pansanel (g), Jules Rousseau, (b), Raphael Quenehen (ss), Pierre Lambla (ts, ss, tp), Fabrice Vieira (g, voc), Thomas Boudet (g), Louis Lubat, Denis Fournier (dm).
Patrick Artero (tp, bug), Thierry Olle (p), Don Vappie (g), Mark Brooks (b), Guillaume Nouhaux (dm).
Craig Adams (p, org, voc), Dale Blade (voc), Tiffany Watson (voc), Anjelika Joseph (voc), Mauro Serri (g), Franck Cliff Jean (b), Stephan Athus (dm).

Aucun commentaire: